Le château de Berlin avant la 2e guerre mondiale
La façade Nord du château de Berlin donnant sur le Lustgarten. La reconstruction de la terrasse historique du Lustgarten datant du milieu du XIXe s. n’a pas encore été décidée, ni le retour de la statue des dresseurs de chevaux ni celle des princes d’Orange actuellement située dans le Kleistpark à Berlin. Cette photo montre avec insistance comment la terrasse est un intermédiaire entre le Lustgarten et les belles façades de Schlüter et d’Eosander et comment elle donne au château un environnement honorable.
Photo : sculpteur Andreas Hoferick, Berlin
La grande cartouche d’Eosander située sur l’avant-corps de la façade du Lustgarten est une allégorie à la gloire royale. Deux messagères divines annoncent avec bruit l’adjonction de la cartouche avec les initiales royales. Ainsi le château prend la symbolique d’une maison des dieux et le monarque est divinisé. Sa reconstruction, ici un modèle de 2014, sera adjointe à la façade fin 2017.
La grande cartouche d’Eosander avait été complètement détruite et a pu être reprise de manière authentique!
Jusqu’à présent nous avons l’espoir que la reconstruction des façades du château en grès s’intégrerait au calendrier prévu de l’édification du Humboldt Forum. Il y a eu de nombreuses candidatures de sculpteurs qualifiés et d’entreprises de pierres naturelles. Mais toutes les conceptions anciennes se basaient sur du travail manuel. En fin de compte un bloc de pierres de 16 tonnes correspond à 9 tonnes de scultpure. Les 7 tonnes restantes devaient être déblayées à la main pour dégager le portrait. Auparavant un énorme travail de détective avait été réalisé pour planifier la reconstruction de chaque élément, parfois à partir de très bonnes photos, parfois d’autres bien floutées et sans plan de restauration et avec peu de mesure détaillées.
Photo: Sculpteur Andreas Hoferick, Berlin
L’Antiquité a déterminé l’iconographie du château de Berlin.
Le prince électeur Frédéric III de Brandeburg (1657-1713) voulait se rehausser au rang de roi, notamment à cause de son ambition d’être un grand prince au centre de l’Europe. C’était la période de l’absolutisme. En France Louis XIV, le roi soleil, se construisait un château luxurueux à Versailles. Frédéric III gouvernait sur une région pauvre, surnommée “Streusandbüchse” la boite à sable du Saint Empire romain germanique. L’empire était administré de Vienne par l’Archiduc d’Autriche, avec directement en dessous de lui les princes électeurs autonomes dans leurs provinces. Ils n’étaient pas des rois et ne pouvaient pas l’être.
Suite à des héritages, la principauté de Brandenburg s’élargit sur une grande partie de la Prusse orientale. Elle se situait hors du Saint Empire. Suite à un accord avec l’Empereur, Frédéric III put se couronner Roi à Königsberg et devient Frédéric Ier, Roi en Prusse. Afin de se représenter à la hauteur de son rang, il fit construire deux somptueux châteaux à Berlin et à Charlottenburg, l’un comme résidence d’hiver, l’autre d’été. Le jeune royaume a recours aux traditions divines de l’Antiquité et de celà naquit la sanction divine.
Par conséquent, les façades du château étaient richement parées de groupes d’esprits protecteurs, dits fama, qui portaient des armoiries avec les initiales du Roi, lui conférant ainsi un aspect divin. Des symboles antiques d’animaux sacrifiés, comme des bucranes, crânes de boeufs, et des têtes de bélier ornaient les fenêtres des appartements et des salles royales. Ils représentaient les sacrifices aux divinités pour solliciter la bienveillance des dieux au jeune royaume.
Le tout était complété par des statues aux allégories de nombreux dieux, demi-dieux et des vertus sur les pédiestaux des portails.
La fama de droite dans la cartouche d’Eosander, à l’echelle 1: 3
(Photo : sculpteur Andreas Hoferick, Berlin)
D’étranges traces dans le grès posent une devinette. La solution : ce sont des traces de fraisages d’un robot!
(Photo : Sven Schubert, Dresden-Hellerau/Wilschdorf)
(toutes les autres photos : Sven Schubert, Dresden-Hellerau/Wilschdorf)
Cette photo montre la position de l’angelot travaillé dans la photo précédente. On reconnaît bien la taille de la pierre qui donne la mesure pour chaque pierre naturelle.
(Sculpteur Andreas Hoferick, Berlin)
Entouré de 12 experts, l’ébrasement d’une fenêtre au bucrane au premier étage du château est prêt. Le terme de bucrane signifie la tête de boeuf au centre de la cartouche de la fenêtre, un animal donné en offrande de l’Antiquité. Par sa présence sur un immeuble, il est montré aux divinités que l’on leur a amené une offrande pour les amadouer. Dans le style baroque la présence divine est ainsi soulignée par des ouvrages magnifiquement décorés.
La photo montre également l’imposante dimension de la fenêtre qui s’harmonise à la façade du château. Les pierres foncées sont en fait encore humides des cascades d’eau du robot. Une fois sèches, elles seront aussi claires que les autres.
(Photo : tailleur de pierres naturelles Hermann Graser, Bamberg)
La fenêtre au bucrane dans le château en ruine
… mise de côté après son dynamitage mais quand même détruite par la suite.
On y retrouve le grand art barque dans sa diversité des formes. Des ébrasures finement modelées intègrent le crâne de boeuf, décoré de feuilles de laurier dans l’avancée de la fenêtre. Les photos détaillant le bucrane annoncent la diversité des 40 fenêtres : Schlüter créa une expression très forte, Eosander plutot tiède et enfin Böhme une allure élegante. Des experts ont déconseillé la reconstruction en raison d’un manque de savoir-faire artistique d’aujourd’hui.
Nous l’avons quand même osé et le résultat est convaincant. Différents prototypes de fenêtres ont été réalisés pour rendre compte de cette diversité. Ainsi les façades retrouvent les mêmes vivacité et intensité qu’auparavant.
Le feston des feuilles de laurier : travail méticuleux et individualiste du scultpeur.
L’art de la sculpture est la métamorphose de la matière minérale en un grand esprit
de Wilhelm von Boddien
Au musée de Delphes en Grèce se trouve une belle stature d’Antinous, le plus bel adolescent de l’Antiquité. Nous étions sans voix et saisis par cette oeuvre magnifique. La guide du musée assez trapue nous interpella après un instant de se défaire du jeune homme et de regarder par la fenêtre le Mont Parnasse. Cette montagne semble aussi grossière que beaucoup d’autres choses en Grèce. Il était recouvert de houx, de genêt, de ronces et d’herbes grillées par le soleil.
“L’intérieur de cette montagne est fait de marbre blanc, nous dit-elle, en elle sommeillent des milliers de jeunes hommes de la beauté d’Antinous. Mais seulement une fois les dieux offert la force et l’esprit à un homme de libérer ce jeune homme de la montagne. Et maintenant il est là devant nous dans toute sa splendeur!”.
Quelle définition émouvante de l’art de la sculpture, quelle étonnante description de la métamorphose d’une matière minérale et froide en un esprit animé. Cela me fait toujours penser aux carrières de pierres en Saxe et en Silésie où ont été decrochées des énormes pierres de plusieurs tonnes pour en dégager les façades du château.
Au temps d’Andreas Schlüter il y a 300 ans, les apprentis tailleurs de pierre dégagaient des contours bruts des sculptures manuellement. C’est la phase la plus fastidieuse de la taille de la pierre avant d’en faire une oeuvre et qui disparaitra au final. Aujourd’hui des scies télécommandées, des robots, des brosses métalliques à ébavurage et d’autres aides technologiques comme des burins à air comprimé permettent d’augmenter nettement la productivité dans le dégagement de la pierre et la réutilisation des décombres. Ensuite le tailleur de pierre intervient, il donne à une pierre vierge ces premières notes individuelles et en fera une grande oeuvre sur les façades du château.
Art du détail en sculpture depuis 300 ans.
(Photo du tailleur de pierres naturelles Hermann Graser, Bamberg)
Bucranes en plusieurs versions, prêts à être intégrés aux façades.
(Photo du tailleur de pierres naturelles Hermann Graser, Bamberg)
(Photo du tailleur de pierres naturelles Hermann Graser, Bamberg)
Pratiquer une striation dans la pierre reste toujours un travail à la main.
(Photo : Hofman, Werbach-Gamburg)
(Photo du tailleur de pierres naturelles Hermann Graser, Bamberg)
La reconstruction du portail d’Eosander avec son dôme
Suite à l’agrandissement du château de Berlin par le Suédois Johann Eosander von Göthe et son couronnement avec un dôme en 1850, la façade ouest du château, en direction d’Unter den Linden, devient de ce fait la façade de prestige. Le portail est un bloc de pierre massif, rappelant l’arc de triomphe de Septime Severe sur le Forum Romanum à Rome, quoique beaucoup plus important que son modèle antique. Derrière, de grosses citernes pour l’alimentation en eau du château se camouflaient, le château ayant déjà partiellement l’eau courante.
C’est pourquoi ce portail n’avait que deux petites fenêtres qui étaient dissimulées dans la principale corniche au-dessus des colonnes ; aujourd’hui elles sont bien visibles dans le gros oeuvre en béton comme on peut le voir sur la photo ci-dessous.
Les grands châpiteaux composes du portail d’Eosander ainsi que ses ornamentations plastiques sont réalisées à Pirna.
Le modèle : un original sauvé.
Le premier tambour des colonnes est prêt.
La partie inférieure du châpiteau compose terminée séduit par le respect du détail exemplaire et sa beauté.
Photos : carrière de pierre en Saxe, Sächsische Sandsteinwerke, Pirna
Un détail reconstruit en plâtre du grand relief d’armature au-dessus du passage à gauche du portail.
(Photo : Tailleur de pierre Christian Ortlepp, Berlin)
En conclusion, chaque élément ornemental des façades du château se réalise à la main de manière très méticuleuse.
Depuis des siècles, l’art se pratique à partir de modèle.
Moulage d’un châpiteau.
Les plâtiers remplissent les formes en négatif avec du plâtre liquide. Ainsi le tailleur de pierre peut travailler à partir d’un positif.
(Photos : tailleurs de pierre Frank Kösler, Berlin et Christian Ortlepp, Berlin)
très intéressant et quel travail fabuleux
J’aime bien cet article